email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CINÉMA DU RÉEL 2024

Critique : Sous les feuilles

par 

- Florence Lazar tisse un documentaire très fin sur la mémoire, la nature, l’invisible, la transmission et les stigmates du passé colonial, entre botanique et Histoire

Critique : Sous les feuilles

"Prenons le temps d’écouter les arbres. Ils ont des choses à nous dire." Nous sommes à l’anse Bellay, sur l’île de la Martinique, au cœur d’une végétation luxuriante et au bord d’une mer éclaboussée de soleil typiques des Antilles. Mais sous l’image paradisiaque repose une réalité historique de souffrances car plus d’une soixantaine de corps d’esclaves sont enterrés là. C’est dans les racines de cette histoire cachée, dans un passé enfoui, hanté, thérapeutique et transmis au fil des générations par une culture locale dissimulant des messages invisibles que la documentariste française d’origine serbe Florence Lazar (appréciée notamment avec Kamen – Les pierres et Tu crois que la terre est chose morte) s’est immergée très subtilement avec Sous les feuilles, dévoilé en première mondiale dans la compétition internationale du 46e festival Cinéma du réel.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

"Ils appellent ça du mobilier archéologique appartenant à l’État français. Ce mot nous fâchait. Qu’on le veuille ou non, c’est l’un de nos ancêtres qui est là ! Donc ils ont changé le mot en restes humains." Ce sont les sentiers d’une bien étrange et surprenante promenade de mémoire qu’emprunte un film délicat, tissant des éléments en apparence disparates et ouverts à l’entendement du spectateur afin de composer finalement en douceur un tableau très cohérent et profondément instructif sur le liens occultes entre la nature et les humains. Des liens qui étaient autrefois des secrets au temps de la "colonisation triomphante", des propriétés des maîtres et des chaînes des esclaves, mais qui remontent encore plus loin jusqu’à l’époque des Amérindiens Arawaks qui vivaient déjà dans l’Anse Bellay, deux siècles avant Jésus Christ.

"Quand tu n’as pas les moyens de dire, quand on t’oblige à cacher, tu dois trouver un moyen très subtil d’invisibiliser aux yeux du maître pour transmettre un message : il faut reprendre le chemin de la graine". C’est cet enseignement quasi botanique, nourri d’oralité ("parler, c’est faire exister") et des croyances en des formes diverses de surnaturel imbibant la Martinique (la magie du quimbois) que la cinéaste dévoile très progressivement à travers des paroles individuelles entrant en résonance les unes avec les autres. De virages en rideau de pluie dans le grand vert de la forêt tropicale, des mystères et des révélations d’un arbre venu de Madagascar, d’un hôpital psychiatrique à un pêcheur d’écrevisses, de la plante "casser-coutelas" à la divinité Changó, c’est un paysage pétri d’histoires et d’Histoire qui émerge. Une enquête microcosmique discrète et une recette fondée sur l’association d’idées qui en dit beaucoup avec un art cinématographique allusif très maîtrisé sous son camouflage de modestie.

Tenant parfaitement sa ligne directrice (comme l’indique un graffiti entraperçu au cours du film, il s’agit de créer du désordre pour mettre de l’ordre), Sous les feuilles réussit à pénétrer dans les ombres de la mémoire collective, "à accompagner et à ramener de l’autre côté de la vie" et à canaliser habilement les émotions transgénérationnelles d’un passé historique très douloureux, tout en tenant son cap principal fondé sur un principe fondamental : "n’oubliez jamais".

Sous les feuilles a été produit et est vendu par Sister Productions.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy